vendredi 9 juillet 2010

Le déluge... en Mésopotamie: Atrahasis et Utanapishtim, les Noé mésopotamiens. 4/4

Par Maximilien Lormier

A la recherche du Déluge à travers ses mythes.

Le récit du Déluge biblique n’avait jamais été véritablement remis en cause jusqu’à la découverte des tablettes provenant de Ninive. Une fois traduite par l’anglais Georges Smith à la fin du XIXe siècle, le déluge de l’épopée de Gilgamesh entraîna un grand bouleversement théologique auquel les instances religieuses ne s’attendaient pas. Devant toutes les questions qui se posaient, le Vatican préféra garder le silence. Aujourd’hui le débat semble avoir trouvé une issue. Bien d’autres récits de l’Ancien Testament se retrouvent dans l’univers mésopotamien comme les récits de la tour de Babel et le mélange des langues ; aussi il est évident que le Déluge de Yahvé soit un récit influencé par les déluges du dieu Enlil dans les histoires d’Atrahasis et d’Utanapishtim.

Les archéologues, rongés par le doute et espérant trouver des traces du Déluge, se ruèrent en Iraq pour trouver des stratigraphies corroborant les dires des différents mythes. C’est à Ur que Léonard Woolley rencontra au fond d’une profonde tranchée, une stratigraphie qui montrait les traces d’une grande inondation. Puis on en découvrit d’autres dans les cités de Kish, Uruk, Shuruppak ou encore Lagash. Chacun des archéologues les interprétèrent différemment, mais les datations concordèrent toutes aux alentours du début du IIIe millénaire. Cependant, il est formellement impossible d’affirmer que toutes ces traces viennent toutes du même phénomène, encore moins d’un déluge.

Comment interpréter le/les déluge(s) ?

Des hypothèses concernant le phénomène d’un ou de plusieurs déluges peuvent être formulées aujourd’hui. La recherche archéologique, topographique et géologique sur le terrain de l’Iraq actuel nous a appris à mieux connaître ce que fut le pays des grandes civilisations de Mésopotamie. Le nom de Mésopotamie, ou mesopotamia – « la terre entre deux fleuves » - a été donné par l’historien grec Polybe pour désigner cette étroite bande de terre qui coule entre et autour des fleuves du Tigre et de l’Euphrate. Ces fleuves, contrairement à l’Egypte qui est « un don du Nil », connaissaient des crues dévastatrices qui envahissaient toutes les terres agricoles ainsi que les villes et autres villages construits à proximité. C’est pourquoi, les hommes de cette région apprirent à domestiquer, bien difficilement, les caprices de ces deux fleuves en construisant, dès le IVe millénaire, de grands canaux et des barrages qui permettaient aux villes de s’approvisionner en eau tout en s’éloignant des fleuves. Malheureusement de grandes crues survenaient régulièrement et anéantissaient tout. Aussi les récits du déluge peuvent être interprétés comme le souvenir d’une crue si dévastatrice qu’elle resta dans toutes les mémoires avant d’être, au fil du temps, racontée sous forme de mythes. On peut également voir les récits des déluges d’Atrahasis ou d’Utanapishtim comme les souvenirs lointains où leurs ancêtres voyaient les fleuves dévaster leurs maisons et leurs récoltes.

Les observations sur le terrain des précipitations rarissimes mais dévastatrices, dans les couches archéologiques et dans la vie de chantier de tous les jours, amenèrent certains archéologues à élaborer une autre théorie, tout aussi crédible, à savoir la tombée régulière, dans des laps de temps plus ou moins long, de grandes précipitations de pluies. L’architecture mésopotamienne étant faite à base d’argile et de terre, les pluies lorsqu’elles étaient trop fortes devaient absolument tout détruire.

Aujourd’hui, les spécialistes du climat et les assyriologues s’interrogent sur le possible lien entre le fameux discours du Déluge et la fin de la dernière ère glaciaire – glaciation de würm – vers -10000 av. notre ère. Ainsi, la terre se réchauffant progressivement, l’eau serait montée envahissant tout le golfe persique, détruisant inexorablement les constructions humaines. Des recherches dans ce sens montrent que les villes d’Ur, Uruk et Lagash auraient même été entre le Ve et le début du IIIe millénaire des cités côtières, alors que les sites sont aujourd’hui au milieu du désert. Alors est-ce que la thèse du réchauffement climatique – très en vogue de nos jours – est crédible ? Peut-être, si l’on considère qu’un récit pouvait être transmis par oral de générations en générations pendant plusieurs millénaires, jusqu’à ce qu’il soit enfin retranscrit sur tablette. Des tribus nomades continuent aujourd’hui encore sur la base de l’oral à transmettre l’Histoire de leurs ancêtres. A titre d’exemple, c’est comme si aujourd’hui nous nous transmettions par oral pourquoi les hommes, qui vivaient dans le Morbihan il y a 4000-5000, ans avaient dressé les menhirs de Carnac.



Qu’il y ait eu un ou plusieurs déluges, il n’en reste pas moins que le récit de la Genèse a été très fortement inspiré par les deux œuvres mésopotamiennes, à savoir le Mythe d’Atrahasis et l’Epopée de Gilgamesh. Atrahasis et Utanapishtim sont les premiers Noé de l’histoire, du moins littéraire. Les ressemblances sont si frappantes entre les différents textes que la question de l’origine d’un tel déferlement d’histoires, semblables dans les différentes mythologies et religions du monde, posent le problème sur un autre débat : celui de la diffusion des mythes mésopotamiens dans le monde oriental et méditerranéen.





Annexes

Récit du Déluge dans la Genèse.
Dieu regarda la terre et la vit corrompue, car toute chair avait perverti sa conduite sur la terre. Dieu dit à Noé : « Pour moi la fin de toute chair est arrivée ! Car à cause des hommes la terre est remplie de violence, et je vais les détruire avec la terre (…)
Fais-toi une arche de bois résineux. Moi, je vais faire venir le Déluge c’est-à-dire les eaux sur la terre, pour détruire sous les cieux toute créature animée de vie (…)
Entre dans l’arche, toi, et avec toi, tes fils, ta femme, et les femmes de tes fils. De tout être vivant, de toute chair, tu introduiras un couple dans l’arche pour les faire survivre avec toi ; qu’il y ait un mâle et une femelle ! (…)
Sept jours passèrent et les eaux du Déluge submergèrent la terre. (…)
La pluie se déversa sur la terre pendant 40 jours et 40 nuits. (…)
L’arche reposa sur le mont Ararat. (…)
Il lâcha le corbeau qui s’envola, allant et revenant, jusqu’à ce que les eaux découvrent la terre ferme. Puis il lâcha la colombe (…) Mais la colombe ne trouva pas où poser la patte (…)
(Noé) lâcha à nouveau la colombe hors de l’arche. Sur le soir elle revint à lui, et voilà qu’elle avait au bec un frais rameau d’olivier ! Noé sut ainsi que les eaux avaient baissé sur la terre. Il attendit encore sept autres jours et lâcha la colombe qui ne revint plus vers lui.
Mythe d’Atrahasis.
Douze cents ans ne s’étaient pas écoulés
Que le territoire se trouva élargi et la population multipliée.
Comme un taureau, le pays tant donna de la voix
Que le dieu-souverain fut incommodé par le tapage.
« La rumeur des humains est devenue trop forte:
Je n’arrive plus à dormir, avec ce tapage !
Commandez donc que leur vienne l’Épidémie (…)
Et Enki, rouvrant la bouche,
S’adressa derechef aux dieux, ses frères :
« Pourquoi voulez-vous me lier d’un serment ?
Puis-je porter la main contre mes créatures ?
Et ce Déluge dont vous parlez,
Qu’est-ce que c’est ? Je l’ignore !
Est-ce à moi de le produire ? (…)

Jette à bas ta maison, pour te construire un bateau !
Détourne toi de tes biens,
Pour te sauver la vie !
Le bateau que tu dois construire (…)
Et, le Déluge déchaîné,
L’Anathème passa comme la guerre sur les hommes !
Personne ne voyait plus personne :
Nul n’était discernable dans ce carnage ! (…)
Le fracas du Déluge
Epouvantait même les dieux. (…)
Ainsi Nintu gémissait-elle,
Exhalant son émoi,
Et les dieux, avec elle, déploraient la terre.
Soûlée de désespoir,
La déesse avait soif de bière (…)
Il (Atrahasis) dispersa aux quatre-vents tout ce que portait le bateau,
Puis servit un repas-sacrificiel
Pour subvenir à la nourriture des dieux,
Et il leur fit une fumigation orodante.
Humant la bonne odeur, les dieux
S’attroupèrent autour du banquet, comme des mouches!

L’Epopée de Gilgamesh.
Utanapistim expliqua donc à Gilgamesh :
« Gilgamesh, je vais te révéler un mystère,
Je vais te confier un secret des dieux!(…)
C’est là que prit aux grands-dieux l’envie de provoquer le Déluge. (…)
Ô roi de uruppak, fils d’Ubar-Tutu,
Démolis ta maison pour te faire un bateau. (…)
Le bateau que tu dois fabriquer
Sera une construction équilatérale :
A largeur et longueur identiques. (…)
Le lendemain matin, tout ce que je possédais, je l’en chargeai :
Tout ce que j’avais d’argent,
Tout ce que j’avais d’or,
Tout ce que j’avais de spécimens d’êtres-vivants.
J’embarquai ma famille et ma maisonnée entières,
Ainsi que gros et petits animaux-sauvages, et tous les techniciens.(…)
Et [l’Anathème] passa comme la guerre sur les hommes.
Personne ne voyait plus personne.(…)
Les dieux étaient épouvantés par ce Déluge(…)
Six jours et sept nuits durant,
Bourrasques, pluies-battantes, ouragans et Déluge ne cessèrent de ravager la terre.
Le septième jour arrivé, Tempête, Déluge et hécatombe stoppèrent. (…)
C’était le mont Nimush, où le bateau accosta.(…)
Lorsque arriva le septième jour,
Je pris une colombe et la lâchai.
La colombe s’en fut, puis revint :
N’ayant rien vu où se poser, elle s’en retournait.
Puis je pris une hirondelle et la lâchai :
L’hirondelle s’en fut, puis revint :
N’ayant rien vu où se poser, elle s’en retournait.
Puis je pris un corbeau et le lâchai.
Le corbeau s’en fut, mais ayant trouvé le retrait des eaux,
Il picora, il croassa, il s’ébroua, mais ne s’en revint plus.(…)
Et, en retrait, (je) versai dans le brûle-parfums cymbo, cèdre et myrte.
Les dieux, humant l’odeur,
Humant la bonne odeur,
S’attroupèrent comme des mouches autour du sacrificateur ! (…)

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