samedi 20 février 2010

Exposition Izis à l’Hôtel de Ville : si Paris m’était conté…

Par Géraldine Piriou*


Certains rêves n’ont pas de prix, la Mairie de Paris l’a bien compris en proposant l’exposition gratuite « Izis, Paris des rêves » jusqu’au 29 mai à l’Hôtel de Ville. Il ne s’agit pas d’une rétrospective dédiée à la déesse égyptienne presque éponyme, mais à Izraëlis Bidermanas, photographe modeste doté d’une sensibilité onirique exacerbée, et qui refusait la dénomination d’artiste. S’il est reconnu par la profession comme l’un des plus talentueux photographes humanistes, son nom demeure peu connu du grand public. Pourtant, dès 1951, le MoMa de New York le sélectionne avec Cartier-Bresson, Doisneau, Brassaï et Ronis pour l’exposition « Five French Photographers ». 30 ans après sa mort, Armelle Canitrot et son fils, Manuel Bidermanas, lui-même photographe, ont décidé, par cette rétrospective, de rendre à Izis ce qui lui revient et nous invitent à suivre les traces de ce jeune litvak, qui décida de fuir la misère de son pays pour rejoindre le « Paris des rêves », terre d’accueil des intellectuels et des impressionnistes.

Certains rêves accouchent dans un cauchemar. Né à Marijampole en 1911, il n’a que dix-neuf ans lorsqu’il quitte sa Lituanie natale, alors sous contrôle russe, afin d’échapper aux persécutions antisémites. Arrivé à Paris en 1930, c’est une France ravagée par la Grande Dépression qui l’accueille. Après trois années de galère et de débrouille, il se voit confier la gestion d’un studio de photographie dans le 13ème arrondissement. Mais la guerre arrive et il lui faut encore fuir, quitter Paris pour le Limousin. Immigré, exilé : ce sentiment apatride le poursuivra tout au long de son œuvre, perceptible en filigrane sur certains clichés. Comme un « no man’s land » identitaire.

Dans l’ombre et l’horreur de la guerre, l’artiste anticonformiste se révèle. Il regarde les maquisards débarquer avec admiration : « Voilà des gars qui ont combattu alors que, toi, tu es resté caché comme un rat. ». De ces héros de la guerre, il en fait des portraits, peu conventionnels. Alors que ceux-ci se présentent à son studio rasés de près, il leur demande de revenir quelques jours plus tard, hirsutes et débraillés, comme au sortir du maquis. Réalistes et bouleversantes, ces photographies d’une grande sincérité nous émeuvent encore un demi-siècle plus tard. C’est la magie d’Izis. On devine l’idéal de liberté auquel aspire le photographe et sa volonté de rompre avec les normes et les conventions de la photographie traditionnelle.

Intuitif, il « appuie sur le déclic, quand [il est] à l’unisson avec ce [qu’il] voit ». Reporter pendant 20 ans à Paris Match, il n’abandonne pas pour autant son introspection personnelle, retranscrite sur négatifs. Contrairement à un Robert Capa, recherchant la plus proche image du réel, l’objectivité de l’objectif, il laisse pudiquement s’imprimer sur la pellicule sa vulnérabilité. Mitraillant à contre-courant, ce passionné de peinture préfère une réinterprétation allégorique de « Sa » réalité au témoignage fidèle. En dehors des standards, à contrechamp, il immortalise non pas l’essentiel mais l’essence d’un instant, son aspérité.

Parfois, rêve rime avec poésie. Au cauchemar de la guerre succède le « Paris des Poètes ». Prévert le surnomme « le colporteur d’images ». Ami des artistes, Izis leur tire le portrait : Aragon, Eluard ou encore Breton. Comme un pied de nez aux souvenirs douloureux, ses clichés sont empreints de tendresse et lyrisme, qu’ils aient pour sujets d’étude enfants, ouvriers, clochards ou amoureux.

D’autres destinations suivront, notamment Londres et Israël. C’est le viseur d’un homme, immigré d’origine juive, en quête d’une identité à réinventer, qui se pose sur la Terre Sainte. De ce voyage originel naît une série d’images comme autant d’illustrations d’histoires bibliques.

Souvent, le rêve côtoie l’éternel. De son ami, Willy Ronis disait « la photo d’Izis a sa propre musique, simple, harmonieuse et délicate, qui cache sous ses airs populaires l’intranquillité de quelques notes de requiem. ». Tels ses portraits d’animaux du zoo, mi morts mi vifs, encagés dans la prison d’un univers destiné à faire rêver les hommes. Izis nous invite aussi à redécouvrir le cirque et son imaginaire, comme une métaphore de l’ironie de la vie.

Eternelle, infinie, son œuvre d’une inépuisable originalité est également d’une étonnante modernité. Une œuvre multiple, divisée ici en 9 chapitres, de la « Naissance d’un artiste » en 1944 avec les portraits sans artifices des résistants, au Monde de Chagall en 1969, lui qui fut le seul journaliste accepté par le peintre ; en passant par le « Tout-Paris ». L’exposition nous emmène, à travers ces quelques 270 clichés, au cœur d’un univers sensible, mélancolique, élégant et sans âge comme le Paris des films en noir et blanc, des « Enfants du Paradis » et de la môme Arletty. Un Paris immortel, mystérieux. Le visiteur se laisse balancer par la poésie discrète de l’artiste, comme ces deux femmes dans la nacelle d’une fête foraine.

*Après des études d’Economie internationale et de Journalisme à Dauphine, Géraldine Piriou fait ses premiers pas en publicité, dans l’univers féminin du Prêt-à-porter. En 2008, elle change de direction : cap sur l’Inde. A son retour, elle cible le journalisme. En radio tout d’abord, puis en web et presse écrite, et notamment pour le Nouvel Economiste. Suivront ensuite la télé avec la chaîne d’information i>TELE, et enfin le reportage.

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