samedi 30 janvier 2010

La tour de Babel, entre mythe et réalité. (II)

Par Maximilien Lormier

Comment l’Etemenanki est devenu la tour de Babel.

Beaucoup de passages de la Bible ont été écrits à Babylone. Soucieux de ne pas perdre leur fondement idéologique, religieux et culturel, les juifs lettrés ont rassemblé ce qui se transmettait le plus souvent par voix orale pour le retranscrire, à l’image des civilisations mésopotamiennes qui, depuis Sumer, compilaient par écrit et archivaient toutes sortes d’œuvres ou de traités (scientifiques et judiciaires). Les écritures de certains passages, comme ceux du Déluge et la loi du talion (œil pour œil, dent pour dent), sont imprégnées de mythes et de faits historiques mésopotamiens. Ainsi on peut donc dire que Babylone et ses mythes ont servi de modèles littéraires aux écrits de l’Ancien Testament.


Une fois entrées dans Babylone, les populations juives déportées ont été, comme bien d’autres, impressionnées par cette tour cultuelle qui s’élevait majestueusement et tutoyait le ciel. Tout en haut de la ziggurat se trouvait un temple haut, bâti en briques émaillées de bleu, qui scintillaient en reflétant la lumière du soleil, omniprésent dans cette région du globe.


Mais Babylone était aussi et avant tout la capitale d’un grand empire aux dimensions gigantesques. La ville grouillait d’activités et de bruits. Ainsi, se mêlaient voyageurs, marchands et prisonniers qui venaient de tout l’empire et des royaumes voisins. Babylone était le centre où se rencontraient toutes les cultures antiques. L’idée de mélange du langage que l’on retrouve dans l’épisode biblique a pris racine aux pieds de cette tour ziggurat, qui voyait une explosion culturelle et linguistique au cœur de la métropole de Nabuchodonosor II.


Il faut voir dans l’étymologie du nom de la cité de Babylone l’idée de recherche, qu’avaient les babyloniens et plus généralement les civilisations mésopotamiennes, pour atteindre leurs dieux. Le nom de Babylone vient de l’akkadien Bab-ilim qui, lui même, vient du sumérien Kà-dingir-ra et signifient tous deux « Porte du Dieu ». Babylone, telle qu’on l’a nomme aujourd’hui encore, nous provient du grec qui avait traduit le nom akkadien en Babylon. Le nom de Babel, lui, ne vient pas du nom de la cité, mais provient de l’hébreu bâlal qui signifie « confondre », « brouiller ». La tour de Babel symbolisait selon la Bible la vanité et l’arrogance du premier héros Nemrod ainsi que celle des hommes dans son ensemble. Avant la construction de la tour, les hommes parlaient tous la même langue, la même que celle que Dieu avait utilisé pour s’adresser à Adam et Eve. La tour avait pour but insolent pour le texte sacré, à l’instar de la ziggurat, d’atteindre les cieux et ainsi de s’affirmer à l’égal de Dieu lui-même. Nous connaissons tous la fin de cet épisode où Dieu confondit les langues pour mettre fin à leur entreprise démesurée en répandant les hommes sur la terre. Aussi, comme le dit pratiquement en ces termes le texte biblique, on appela cette tour Babel (Bâlal) car c’était là que Dieu confondit les langues.


Le mélange des langues : une invention mésopotamienne ?

Comme nous le disions, bien des récits mésopotamiens se retrouvent dans le texte biblique. La grande particularité des grandes civilisations du Tigre et de l’Euphrate a été de compiler très tôt, par écrit, dans des bibliothèques, les récits et les mythes qui remontaient, pour la plupart, aux temps où les hommes de cette région se transmettaient leur histoire par oral. Transcrites sur des tablettes d’argiles à l’aide des écritures dîtes cunéiformes, ces histoires se sont conservées, et depuis les premières fouilles jusqu’à nos jours, les archéologues en ont dégagé des centaines de milliers. Bien que nous soyons en mesure de les traduire, beaucoup restent encore cachées dans les sols archéologiques et dans les réserves des musées du monde entier. Certaines de ces tablettes sont plus ou moins bien conservées, et il est fréquent qu’il ne subsiste que des fragments de texte à déchiffrer.


Ainsi les épigraphistes ont-ils eu la surprise de découvrir un texte où il fait mention du dieu Enki, dieu qui façonna l’image de l’homme puis le créa, dispersant, de manière tout à fait analogue à Yahvé, les hommes sur la terre. Enki voulut ainsi briser la recherche de démesures de l’humanité qui courait irrémédiablement vers une nouvelle perte, Enlil, le dieu des dieux chez les sumériens, pouvant à tout moment décider de la destruction des hommes : « Enki modifia les langues dans leurs bouches. Jusqu’à ce qu’il les y eût placées (les langues étrangères), la langue de l’humanité était une. » .


Qu’en déduire ?

Si la tour de Babel n’est pas la tour ziggurat du dieu Marduk étymologiquement parlant, celle-ci l’est véritablement par l’idée - inconcevable pour les juifs - que l’édifice avait pour fonction d’atteindre le monde divin. La ziggurat de Marduk était le centre de toutes les attentions et charmait les voyageurs de toutes cultures. A Babylone, et plus particulièrement autour de ce centre religieux qui gérait des offices religieux, artisanaux et commerciaux, les juifs ont été marqués par cette multitude de cultures et de langues qui convergeait, telle un seul être, vers ce sanctuaire sacré où on s’enquérait de la bienveillance de Marduk. Certains juifs ont pu également retrouver en la toute puissance de ce dieu et dans ce monothéisme latent l’image de Yahvé. Enfin, c’est également à Babylone que l’écriture de la Bible a pris un tournant décisif : les lettrés juifs imprégnés de culture mésopotamienne écrivirent le texte saint en empruntant des mythes et des coutumes babyloniennes, tout en les adaptant à leur propre perception de leur religion et de leur culture.


Sources bibliques.

Tout le monde se servait d’une même langue et des mêmes mots. Comme les hommes se déplaçaient à l’Orient, ils trouvèrent une plaine au pays de Shinéar et ils s’y établirent. Ils se dirent l’un à l’autre : « Allons ! faisons des briques et cuisons-les au feu ! ». La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier. Ils dirent : Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux ! Faisons-nous un nom et ne soyons pas tous dispersés sur toute la terre ! ».

Or Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties. Et Yahvé dit : « Voici que tous font un seul peuple et parle une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises ! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons ! Descendons ! Et là, confondons leur langage pour qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres. » Yahvé les dispersa de là sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. Aussi la nomma-t-on Babel, car c’est là que Yahvé confondit le langage de tous les habitants de la terre et c’est de là qu’il les dispersa sur toute la face de la terre.

Genèse, XI, 1-9


Lexique :

Ancien Testament : Rassemble tous les écrits bibliques antérieurs à la vie de Jésus.

Enki : Enki était un dieu sumérien, frère d’Enlil et dieu des eaux douces, créateur de l’humanité qu’il façonna d’argile et de sang. Il ne manquait pas de courage et de pitié, allant plusieurs fois aider sa création menacée d’extermination. Son culte se trouvait à Eridu qui reçut, la première, la royauté et la civilisation.

Enlil : Dieu tutélaire de la religion sumérienne au IIIe millénaire avant d’être remplacé par Marduk. Son culte se déroulait à Nippur, capitale religieuse importante de Mésopotamie. Investigateur des grandes catastrophes qui s’abattirent sur les hommes comme le fameux déluge.

Genèse : Le Livre de la Genèse (en grec : « naissance », « commencement », « source », « origine », « cause ») est le premier livre de la Torah (Pentateuque), donc du Tanakh (la Bible hébraïque) et de la Bible chrétienne. La Genèse raconte l’histoire des fondements de l’humanité sur terre par Dieu et l’histoire du peuple hébreux jusqu’en Egypte.

Hammurabi : Vers 1792-1750 av. notre ère. Premier grand roi de Babylone, qui grâce à ses conquêtes, fit de Babylone la plus puissante cité de la Mésopotamie. Reconnu pour son intelligence tactique et diplomatique, il est le créateur du fameux code qui porte son nom, exposé aujourd’hui au Louvre.

Hérodote : Vers 485-425. Historien grec, surnommé « le père de l’Histoire » par Cicéron. Voyageur, il parcourut les empires et s’intéressa aux sociétés et à leurs histoires qu’il compila dans son ouvrage Historiai (Enquête).

Kish : Cité de Mésopotamie centrale qui fut une grande capitale politique et militaire du IIIe millénaire. Soumettre et posséder Kish, signifiait avoir le pouvoir sur la région de l’ancien pays de Sumer. Elle fut aussi le lieu de naissance du grand Sargon d’Akkad, fondateur du premier empire au monde connu.

Marduk : Dieu poliade de Babylone, qui devint le dieu principal du panthéon mésopotamien à partir du IIe millénaire et dont le temple était l’Esagil (« temple au sommet élevé »).

Mithra : Dieu indo-iranien. Son culte naquit au début du IIe millénaire, franchit les montagnes du Zagros puis la Méditerranée pour s’imposer à Rome comme un culte concurrent du christianisme aux IIIe et IVe siècles de notre ère. Culte basé sur des rites initiatiques secrets et oraux, il ne reste rien d’écrit, mais une assez abondante iconographie.

Nabopolassar : Vers 625–605. Fondateur du nouvel empire babylonien (néo-babylonien) à la fin du VIIe siècle av. notre ère. Il mit fin à l’empire Assyrien en s’emparant de Ninive en 612.

Nabuchodonosor II : Roi de Babylone, il succède à son père Nabopolassar. Souverain à la fois éclairé et guerrier, il se distingua en aménageant de grands travaux à Babylone (murailles, sanctuaires, temples) et constitua un immense empire comprenant la Mésopotamie jusqu’au Levant. La prise de Jérusalem et la destruction du temple de Yahvé firent passer le roi de Babylone à la postérité à travers les échos qu’en a fait la Bible.

Zoroastrisme : Fondé par Zarathoustra au Ier millénaire av. notre ère, religion basée sur le culte du dieu Ahura Mazda, qui sera notamment le protecteur de la dynastie des Perses Achéménides.

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